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Itinéraire vers la liberté avec la caravane anti-mafia

La caravane anti-mafia sillonne depuis plus de 20 ans l'Italie et l'Europe pour sensibiliser les populations à l'existence des mafias et pour promouvoir la légalité démocratique et la justice sociale. En avril 2018, la Ligue de l'enseignement des Bouches-du-Rhône l’a accueillie dans trois différentes structures du département ! 

Elle s'est arrêtée au CLEA d’Aubagne, au sein du siège de la fédération mais aussi au centre éducatif fermé « Les Cèdres », auprès de jeunes placés sur décision judiciaire, le lundi 16 Avril. Retour sur cette dernière rencontre, étonnante et poignante à la croisée des chemins, où il était question d’identité, de choix, de voyage et de liberté. 

La caravane anti mafia 41

Pas de photos pour illustrer cette rencontre, qui s’est déroulée en huit clos au sein du centre toute la matinée. C’est là tout le défi de la caravane : créer un espace de liberté dans un lieu fermé.
Ils sont cinq, issus de différentes professions du milieu socio-culturel italien et bénévoles pour la caravane anti-mafia. Formateurs, éducateurs, avocats ou artistes, venus de différentes régions d’Italie. Ils ont fait le choix de s’engager, de partir à bord de leur camion pour aller à la rencontre des jeunes citoyens européens sur leur lieu de formation, dans les écoles, les lycées, ou les centres d’apprentissages, afin de les sensibiliser à une réalité qui les entoure mais qu’ils connaissent mal et percer l’abcès créé par cette organisation présente à tous les étages de la société.

« Voyager pour partager l’itinéraire du changement », telle est leur devise. La caravane anti-mafia, ou caravane de la légalité participe au mouvement d’éducation populaire italien ARCI, une organisation nationale italienne pour la promotion sociale et culturelle. Elle est le fruit de sa rencontre avec la Ligue de l’enseignement, qui l’accompagne dans le cadre de son projet de sensibilisation.

Les bénévoles se sont donc retrouvés ce matin-là au centre éducatif fermé « Les Cèdres », un lieu qui accueille durant 6 mois une dizaine de jeunes mineurs sur décision judiciaire. Lieu de la « dernière chance » face à la menace de l’incarcération pour tenter de trouver une place dans la société, c’est ici qu’ils tentent de semer les graines de leur vie future grâce à un accompagnement à la construction d’un projet professionnel, un suivi psychologique et l’apprentissage de la vie en société par des activités collectives proposées à l’extérieur. Des jeunes un peu ébranlés à ce carrefour de leur vie, ballotés entre un passé plus ou moins lourd et une vie « adulte » qui se dessine de manière hésitante, parfois incertaine. Ils ne s’attendaient sans doute pas à cette rencontre en franchissant la porte, le regard encore endormi, méfiant.

« Vous êtes de la police ? » c’est la première question qui franchit leurs lèvres, alors qu’Alessandro Cobianchi, coprésident national de l’ARCI et son équipe, traduits par Héléna, présentent la caravane et les raisons de sa venue. En cercle, les yeux dans les yeux, chacun fait un pas à tour de rôle et se présente en décrivant le lieu où il a grandi. La première partie de cette rencontre tourne autour de la notion de quartier, qu’ils vont chercher ensemble à définir en partant du vécu et de l’expérience personnelle de chacun. Associer des gestes, des mots à ce « quartier », le situer sur le tableau par rapport à un point au centre symbolisant Marseille… Aubagne, l’Algérie, les quartiers nord, Bari … « On est à Marseille mais on vient de partout », dit Alessandro dans un sourire.

Une approche délicate, sensible avec ces jeunes, les encourageant à libérer leur parole. Loin d’être un cours théorique sur la Mafia, l’intervention cherche clairement à partir de leur expérience et de leurs ressentis. Et peu à peu, les bras se décroisent, les langues se délient et les mots sortent comme un abcès percé tandis qu’Alessandro leur demande de dresser une liste de termes évoquant leur quartier. « Drogue, trafic, réseau, argent, armes, béton, épicerie, famille, cave, identité, police…  La merde. » Ce dernier mot, prononcé à plusieurs reprises, est celui qui d’après Alessandro, revient le plus souvent au cours des interventions de la caravane. « La merde, parce qu’on s’ennuie dans le quartier, il n’y a rien à faire. »

« C’est pour nous une notion importante, ce lieu d’où l’on vient qui tend à nous définir malgré nous », explique Alessandro. Lui et son équipe voyagent avec la caravane un mois dans l’année, mais travaillent le reste du temps auprès des jeunes issus de leur propre quartier, parfois celui dans lequel ils ont grandi. Ils expliquent la raison de leur engagement à travers un court métrage réalisé par Mauro Maugeri, membre du voyage. « Le point zéro » dresse avec subtilité le portrait de plusieurs jeunes marseillais vivant dans les quartiers populaires de la ville. Pour son prochain projet, il aimerait faire participer les jeunes présents ce matin-là et intégrer leurs voix à son film… Et ils sont tous volontaires. Toutes les mains se lèvent et Mauro passe avec son micro tandis que les voix s’élèvent les unes après les autres : « Maison – Trafic – Béton – La street – Famille – Se refaire – où tu as grandi – Amis »

Dans un second temps, Alessandro les invite à reprendre le travail effectué autour du mot « quartier » mais cette fois-ci, c’est le mot « mafia » qui est écrit sur le tableau. « Pablo Escobar – Cigarettes – Tony Montana – argent – Omerta – réseau – armes- Italie… » Il interroge les jeunes : « Quel est le rapport entre la Mafia et les quartiers ?  Vous pensez que la mafia n’existe qu’en Italie ? » Le public est un peu déconcerté. « Le lien ? Tout ça tourne autour de l’argent. Et du pouvoir. Parce que ceux qui tombent dans ces réseaux et dans la délinquance ce sont ceux qui ont grandi dans le manque, la misère, l’impuissance. Mais nous on n’est pas de la Mafia, on est juste des petits délinquants... »

Le pont se dessine peu à peu entre les deux idées. Peu de jeunes identifient les réseaux des trafics de drogue des cités marseillaises à un système maffieux. Pourtant, partout où il y’a de la drogue, il y a une mafia. Elle a peut-être changé de forme mais elle est tout aussi dangereuse aujourd’hui qu’elle ne l’était dans le passé. Le but pour Alessandro et son équipe n’est pas de juger les jeunes parfois un peu fascinés par des personnages comme Pablo Escobar ou les organisations criminelles, mais de les amener à se rendre compte par eux même des dangers de ces organisations. Pour cela, ils demandent à leur public de lister ce qui pourrait arrêter un membre de la Mafia. Qu'est-ce qui peut arrêter une personne prête à commettre le pire au nom du profit et du pouvoir ?

« La mort. La mort de ceux qu’on aime, le fait de les mettre en danger. L’Amour. Le fait d’être coincé, de ne pas pouvoir revenir en arrière. De ne pas être libre. » En y réfléchissant par eux même, les jeunes semblent peu à peu prendre conscience des enjeux d’une telle vie. « Parce qu’il y’a des choses que l’argent ne peux pas acheter, que le pouvoir ne peut pas rendre », ajoute l’un d’entre eux. « On a tous le choix » conclut alors Alessandro. C’est le mot de la fin, celui qui donne la possibilité aux jeunes de se positionner face à l’avenir. « Nous sommes des voyageurs, mais vous aussi. Vous êtes dans ce grand voyage et vous allez choisir quelle route vous allez prendre... »

Loin d’entendre un énième discours moralisateur où de se sentir jugés, ceux qui avaient du mal à se positionner au début de la rencontre ont pu s’exprimer avec une sincérité touchante, mettant des mots sur leur quartier, ce qu’il a fait d’eux, leur sentiment d’être pris au piège. Une réalité à partir de laquelle tout est à construire, l’avenir, et le choix de la liberté. Une réalité qui trop peu souvent est entendue avec une attention bienveillante, empathique et humaine. Beaucoup d’émotion dans les regards lorsque le cercle se forme à nouveau avant de quitter les lieux. Car ce qui s’est produit ce matin-là n’était pas seulement une démarche de sensibilisation, mais une belle rencontre de sensibilités.
« C’est pas tous les jours qu’on s’intéresse à nous... Et encore moins qu’on demande notre aide pour faire un projet artistique », confie l’un des jeunes. J’espère qu’on se reverra un jour ... »

« Ceux qui marchent finissent toujours par se rencontrer à nouveau » sourit Alessandro.