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Retour sur le 97ème Congrès de la Ligue de l’enseignement à Marseille
« La Ligue : un acteur politique » ? C’est sur cette question que s’est ouvert le 97ème Congrès de la Ligue de l’enseignement, du 27 au 30 juin 2019, au Palais des Congrès de Marseille. Le 25 octobre 1866 paraissait l’appel de Jean Macé, fondateur de notre mouvement, « pour le rassemblement de tous ceux qui désirent contribuer au développement de l’instruction dans leur pays ».
153 ans après, dans un monde nouveau et une société traversée par de nouveaux enjeux éducatifs, sociaux, culturels et écologiques, quelle est la place et le rôle politique de ce mouvement d’éducation populaire ? Quelle position adopter pour s’adapter aux défis d’aujourd’hui et de demain ? Près de 800 personnes étaient présentes pour échanger, débattre et construire une réflexion collective autour de cette question, afin de rester fidèle à cet engagement initial tout en prenant en compte les réalités de la société actuelle et les nouveaux enjeux vers lesquels ils nous faut avancer : contribuer à l’émancipation citoyenne par le biais de la diversité de nos actions culturelles, éducatives, sociales et sportives et de la transmission de nos valeurs sur le territoire, en favorisant l’expression et l’engagement des citoyens.
« Jeunes des deux rives » : comment les jeunesses peuvent faire Méditerranée ensemble ?
Mercredi 26 Juin, pendant que les salariés volontaires et bénévoles de la Ligue de l’enseignement des Bouches-du-Rhône finissent de préparer les lieux, deux séminaires sont organisés : celui de jeunes engagés au sein de notre réseau, en mission de service civique, Bafa ou dans le cadre d’un bénévolat, qui ont pour mission d’apporter leur contribution à la Question du Congrès, et « Euro Méditerranée et défi migratoire », un atelier de travail co-organisé par la Ligue de l’enseignement et Solidarité Laïque autour du programme jeunes des 2 rives qui réunit des jeunes militants, des éducateurs de la région (Algérie, Espagne, France, Italie, Liban, Maroc, Tunisie) et des représentants des fédérations départementales de la Ligue de l’enseignement.
En marge du congrès et deux jours après le sommet des 2 rives organisé à Marseille à l’initiative du Président de la République Macron, Marion Isvi, directrice exécutive du réseau Euromed France a introduit cette première matinée : « les jeunes sont les premiers touchés par les problématiques sociales qui existent tout autour de la Méditerranée et par la précarité … ils doivent être visibles, devenir des acteurs légitimes : c’est aux jeunes de parler des jeunes ! Et ils ont besoin d’espaces pour pouvoir construire les choses d’une manière qui leur ressemble. » Ce qui transparait dans ces ateliers, c’est bien ce besoin de rencontres et d’ouvertures, comme le décris Mathilde, engagée en mission de Service Civique à la Ligue de l’enseignement des Bouches-du-Rhône : « C’est génial de rencontrer des gens qui viennent de partout et amènent avec eux leur expérience pour la partager ! »
Les pays du Bassin Méditerranéen ont presque tous engagé des transitions citoyennes ces dernières années. Avec plus ou moins de succès en termes de libertés publiques et de processus démocratiques. Dans ce contexte et avec la volonté de soutenir ces transitions civiles, la Ligue de l’enseignement et Solidarité Laïque ont mené ces derniers mois des réflexions pour positionner leurs interventions dans la région en soutien des mouvements s’inscrivant dans un « horizon laïque ». Cet atelier a permis de constituer un état des lieux en la matière dans la région sur les sujets d’actualité, avant d’interroger les conditions nécessaires pour favoriser une « laïcité en action ». Pour préparer au mieux cette contribution au congrès, trois thématiques ont donc été abordées au fil de la journée : « cultures, arts et sport », « médias et expressions citoyennes », et « migrations et solidarités », ainsi qu’une intervention de Joëlle Bordet, psychosociologue, et de Jacques Ould Aoudia, chercheur, autour des rôles et des défis de la jeunesse dans le monde actuel. Comment penser avec les jeunes ? « Il faut d’abord apprendre à les écouter, puis être du côté de leurs ressources, et non dans la peur. » Sortir de ces représentations négatives qui alimentent une méfiance envers eux et les enferment, là où la société a plus que jamais besoin d‘ouverture et de liens, comme en témoignent celles et ceux ayant participé à ce projet. « Le passage des frontières, c’est d’abord le passage du rapport à l’autre », souligne la psychosociologue. L’enjeu de cette journée d’échanges : tenter de répondre à la question « Comment l’ouverture sur le Monde favorise la citoyenneté locale ? »
La question de la Méditerranée et du défi migratoire au cœur du Congrès
Quelles valeurs, quels idéaux et quels projets défendre dans cet espace traversé par les questions de mobilité, d’échanges et d’interculturalité ? Le Congrès est traversé par cette question, que cela soit à travers l’intervention des jeunes, la pièce de théâtre présentée par la compagnie Totem le soir même adaptée du texte « Eldorado » de Laurent Gaudé et interprétée par des habitants de l’Estaque, ou encore la table ronde sur l’actualité de la coopération internationale « Laïcité et Méditerranée », qui a lieu le jour suivant.
Ce 97ème congrès de la Ligue de l’enseignement s’ouvre sur cette table ronde animée par Olivier Consolo, ancien directeur de la plateforme des ONG européennes Concord, et co-organisée avec Solidarité Laïque. Plusieurs interventions dans le cadre de ce débat permettent aux participants de mieux se saisir des enjeux liés à cette question, qui occupe une place centrale dans ce Congrès. Mais d’ailleurs, pourquoi aborder la question de la Méditerranée ? Pour Jean Michel Ducomte, Président de la Ligue de l’enseignement, « Le choix de parler des migrations et de la Méditerranée, à la fois sorte de laboratoire européen et cimetière à ciel ouvert, était pour nous évident si la Ligue est positionnée en tant qu’acteur politique. Bien que mouvement d’éducation populaire, elle a vocation à tenir un discours à dimension universelle. » Une restitution du travail effectué par les porte-paroles du projet J2R a également permis de partager une lecture de la situation actuelle des jeunes sur les deux rives de la Méditerranée, et des défis qui les attendent. Enfin, l’intervention de Marie Christine Vergiat, euro-députée et ancienne membre du Conseil d’Administration de la Ligue de l’enseignement a proposé une analyse, issue de son expérience au Parlement européen : « On assiste aujourd’hui à une dégradation de la démocratie dans l’Union européenne sur la question des migrations. Une des prochaines grandes batailles aura pour enjeu le respect des conventions internationales, notamment sur la question des droits de l’enfant et du sauvetage en mer… » Ahmed Galaï, militant à la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme et membre de Solidarité Laïque Tunisie a confirmé ce discours en faisant également part de sa propre expérience : « C’est une véritable guerre que mène en ce moment l’Union Européenne contre les migrants.» , avant de conclure : « Soyons unis et soudés face à ces défis, soyons généreux, soyons optimistes pour l’avenir, et pessimistes pour la réalité actuelle. Soyons les deux. »
La Ligue, un acteur politique ? La parole au réseau !
L’après-midi démarrait officiellement le 97ème Congrès de la Ligue de l’enseignement. Applaudis par les congressistes, Danièle Casanova, adjointe au Maire de Marseille, Jean Michel Ducomte, Président de la Ligue de l’enseignement et Suzanne Guilhem, Présidente de la fédération des Bouches-du-Rhône, ont introduit la Question posée par ce Congrès : La Ligue : acteur politique.
La parole était au réseau pour débattre de cette question, et les représentants de plusieurs fédérations départementales se sont succédé face aux congressistes pour partager l’issue de leurs réflexions collectives, menées en amont auprès de leurs équipes. Puis, un temps d’échange participatif autour de plusieurs ateliers a permis aux congressistes de poursuivre ces réflexions de manière collective par petits groupes autour de différentes thématiques, identifiées comme les grands enjeux auxquels se doit de faire face notre mouvement à l’heure actuelle : l’intensification de la crise de la représentation, l’éducation au cœur de la société et de ses problèmes, l’accélération de la crise environnementale et l’approfondissement de la crise des institutions. L’aboutissement d’une démarche commencée il y a plusieurs mois, afin de vérifier, valider et prolonger ces pré-résolutions à la question du congrès.
L’espace d’animation de la Ligue 13 :
Entre deux prises de paroles ou deux ateliers, les congressistes ont pu découvrir notre stand parmi tous ceux présents dans les différents espaces du palais des congrès ! Espace EEDD (Education à l’environnement et au développement durable, un projet porté par la Commission EEDD, piloté par Odile Flores, Directrice du Centre Social et Maison Pour Tous Kléber), documents de communication, outils pédagogiques, jeux et activités étaient proposés par les salariés de la Fédération des Bouches-du-Rhône, dont l’engagement tout au long de ce congrès a été salué par l’ensemble des congressistes présents durant l’évènement !
Une buvette était également mise à disposition, tenue par des jeunes des centres sociaux de la Ligue de l'enseignement des Bouches-du-Rhône. Les fonds récoltés vont servir à financer leurs prochains chantiers de solidarité internationale au Maroc, en Tunisie et en Allemagne d'ici la fin de l'année !
Les jeunes aussi ont la parole !
Vendredi 28 Juin était consacré à de nombreuses interventions extérieures : après un discours de Nadia Bellaoui, Secrétaire générale de la Ligue de l’enseignement, de Suzanne Guilhem et d’Isabelle Dorey, Déléguée générale de la Fédération des Bouches-du-Rhône, se sont exprimés les porte-paroles de la contribution des jeunes engagés et de ceux du projet J2R. Pour Jérémie Marfoisse, coordinateur du projet J2R, la participation des jeunes est porteuse d’un enjeu essentiel : transformer une colère légitime en engagement porteur. « Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre, et nos idées sont en faveur d’un projet de société résolument tourné vers la lumière.» Voici quelques-unes des propositions qu’ils ont formulées : protéger les artistes, l’expression artistique ainsi que les lieux de diffusions culturelle, rendre visibles les médias d’expression citoyenne, travailler dans le sens d’une sensibilisation des jeunes aux médias… Cette liste était suivie de l’intervention touchante de Mohamed Benlabbas, participant au projet et animateur à la MPT / Centre social Kleber : « Laissez-moi vous parler de notre colère. Nous les jeunes, nous sommes souvent stigmatisés, nous faisons peur … Nous ne sommes pas des « réfugiés », des « migrants », nous sommes des enfants. Notre défi de génération, c’est le défi de l’humanité. »
Venait ensuite la contribution des jeunes engagés de moins de 30 ans au sein de la Ligue de l’enseignement qui ont présenté aux congressistes la synthèse de leurs travaux, insistant sur l’urgence d’agir face à la transition écologique et numérique, moteur puissant d’engagement pour les jeunes. « Il nous faut inventer une nouvelle façon d’être au monde. » Un autre point soulevé par leurs travaux : la nécessité de repenser l’accueil et l’accompagnement des jeunes « ligueurs », de revaloriser leur engagement et leurs compétences au sein de notre mouvement.
La remise des prix du concours photo Discrimin’action
Dans la même matinée, la Fédération des Bouches-du-Rhône a organisé sur son espace d’animation la remise des prix de la 5ème édition du concours photo Discrimin’action ! Julien Mora, venu de Toulouse pour l’occasion s’est vu remettre par Clotilde Martin du Service Vie Associative de la Fédération des Bouches-du-Rhône et Dorothée Paulin, Déléguée générale adjointe des fédérations des Alpes de Haute-Provence et des Hautes-Alpes, le 1er prix réseaux sociaux du concours pour sa photo « sans limites ». Il a remporté un bon cadeau de tirages photos ! Le premier prix régional collectif a été remis à la classe de CE2 de l’école élémentaire La Feuillade à Marseille avec 897 votes, qui a remporté un appareil photo pour leur photo intitulée « Tends la main au handicap, ne lui tourne pas le dos ! », tandis que le premier prix régional individuel a été remporté par Clémence Loup de Montigny pour sa photo « Tu es né comme ça avec les cheveux blonds ? », qui a recueilli 827 votes. Enfin, le lycée professionnel Paul Héraud de Gap a remporté le 1er prix départemental des Hautes Alpes avec 819 votes pour leur photographie « Politique – Le baillon des femmes ».
Regards critiques d'intellectuels et d'acteurs sociaux
Dans un second temps, des entretiens animés par Héloïse Lhérété, rédactrice en chef de Sciences Humaines ont permis le partage de regards critiques d’intellectuels et de différents acteurs sociaux sur la Question du Congrès : un entretien avec Stéphane Beaud, professeur de sociologie à l’université de Poitiers travaillant depuis 30 ans sur les transformations des milieux ouvriers en France avec une attention particulière sur les générations les plus récentes pour beaucoup issues de l’immigration maghrébine ; François Dubet, professeur émérite de sociologie à l’université Bordeaux 2 et auteur du Temps des passions tristes, inégalités et populisme. « L’expérience des inégalités est devenue une blessure personnelle pour les populations. Il faut prendre en charge ces vécus d’inégalité pour les transformer. Il faut également redéfinir le projet éducatif de l’école afin de faire en sorte que les jeunes ne sortent pas humiliés de cette affaire. » Pour lui, le rôle de la Ligue est d’agir, mais aussi de produire du débat publique sur ces questions-là ! La contribution de nombreux acteurs sociaux à la suite de ces interventions a permis d’approfondir et de développer davantage les nombreux enjeux liés de la Question du Congrès.
Le Festival Nuits métis
Dans une atmosphère familiale et populaire, ce festival de musique éclectique s’affiche chaque année depuis 26 ans aux couleurs des cinq continents. Sur le site du plan d’eau de Saint Suspi à Miramas, les différents spectacles ont offert une déambulation plurielle autour des musiques du monde, des arts visuels et du théâtre de rue. Une navette gratuite était mise à disposition des congressistes pour se rendre sur place et profiter de ce temps festif !
Retrouvez le reportage et l’interview de Marc Ambrogiani, Directeur de l’Association Nuits Métis sur notre plateforme numérique associative : www.Constellasso.fr
Nouveaux défis, nouveaux engagements
Samedi 29 Juin, avant l’ouverture de l’Assemblée Générale de la Ligue de l’enseignement, les congressistes se sont réunis pour écouter la restitution finale de la Question du congrès présentée par Nadia Bellaoui. Dans son discours, celle-ci aborde point par point les grands défis qui nous attendent : la nécessité d’un réinvestissement de la Ligue de l’enseignement à l’Ecole, qui constitue l’ambition première de notre mouvement et un enjeu politique important, dans l’idée « d’occuper l’espace politique sur lequel nous sommes attendus et reconnus » ; la nécessité de repenser un vrai projet éducatif et culturel pour l’école dans lequel faire valoir l’engagement comme voie d’apprentissage constitue un enjeu majeur ; de faire une place à la parole des jeunes… « Nous devons affuter nos arguments et avoir des propositions fortes, pas juste des slogans ! L’Ecole a du mal à se transformer de l’intérieur : elle a besoin de notre apport. » La Ligue doit également jouer un rôle important dans la transition sociale, écologique et démocratique, et répondre à un besoin croissant de médiation et d’accompagnement, d’organisation de l’expression citoyenne. « Notre rôle est d’accompagner les populations, de redevenir un instituteur du social en activant les possibilités d’autonomie, un activateur du pouvoir d’agir et de penser. » Parmi les autres grands défis qui nous attendent : l’importance de la question environnementale et de la transition écologique qui appelle à favoriser les prises de conscience et les changements de pratiques ; la « crise de la représentation » que traverse actuellement notre mouvement et la nécessité de trouver les moyens de remédier à un réel problème de visibilité et de lisibilité : « Notre représentation est loin de montrer le côté diversifié de la Ligue, on nous voit comme une institution… » Nadia Bellaoui insiste également sur l’importance de s’appuyer sur l’ensemble du réseau associatif pour faire face à tous ces défis : « Le projet de la Ligue doit être le projet des associations locales qui le constituent. » Elle termine avec un message emprunté aux jeunes : « A nous tous, nous sommes la Ligue, soyons le changement que nous voulons voir dans la société dès aujourd’hui. »
Alors, la Ligue, acteur politique ?
Ce qui ressort de ces discussions, c’est que si la vocation de la Ligue est d’éveiller les consciences, elle doit aussi se positionner comme acteur politique et devenir moteur de transformation sociale. Mais ce qui semble également évident, c’est le fait que la Ligue de l’enseignement se situe actuellement dans un tournant majeur de son histoire, au cœur de nouvelles réflexions. Elle semble chercher à se réinventer, à redéfinir sa place et son rôle en tant que mouvement d’éducation populaire dans cette société bousculée par de nouveaux enjeux sociaux, politiques, culturels, écologiques, comme le souligne, dans son discours, Nadia Bellaoui : « La Ligue doit re-trouver son identité ».